Véganisme, Déconnexion à la Nature et Paradoxes modernes

Le véganisme me fascine autant qu’il me questionne. Non pas parce que je suis contre—je suis même heureuse que ce mouvement existe—mais parce qu’il incarne, à mes yeux, une forme de polarisation typique de notre époque. Une réaction viscérale face aux dérives d’un système qui a dénaturé notre rapport au vivant. Mais est-ce une réponse cohérente ou une réponse symptomatique d’un monde déconnecté ?

Les villes, foyer du véganisme

C’est dans les villes, là où l'on est le plus coupé de la nature, que le véganisme est le plus répandu. Ce n’est pas un hasard. La ville est le lieu de la consommation massive, du gaspillage, de l’exploitation industrielle à outrance. Elle est aussi le lieu où l’on prend conscience de ces mécanismes, où l’on est exposé aux images-chocs des abattoirs, des fermes-usines, de la souffrance animale rendue invisible derrière des emballages plastifiés.

Dans un monde où l’animal n’est plus perçu que comme un produit à consommer, il semble logique que des personnes rejettent en bloc toute consommation animale. Comme une forme de purification morale face à l’horreur industrielle. Mais ce rejet ne traduit-il pas aussi une méconnaissance de la nature elle-même ?

Le paradoxe de la nature idéalisée

Il y a dans le véganisme une croyance implicite en une nature "pure", où l’humain pourrait exister sans impacter les autres êtres vivants. Mais la nature, telle qu’elle fonctionne, est tout sauf un monde de paix et d’harmonie idyllique. C’est un système d’équilibres, d’échanges d’énergie, de cycles de vie et de mort.

Dans un écosystème sain, tout se transforme, rien ne se perd. Un prédateur tue, mais ne gaspille pas. Un herbivore arrache une plante, qui repoussera. Rien n’existe dans un vide moral où certaines formes de vie seraient à protéger et d’autres à ignorer. Le lion ne se pose pas la question de la souffrance de la gazelle, et la gazelle elle-même mange sans scrupule les jeunes pousses.

Mais nous ne sommes pas des lions, et c’est bien là que se pose le problème : quel est notre rôle dans cet équilibre ? L’humain a la particularité de faire des choix, d’ajouter de l’éthique là où la nature ne met que des lois physiques et biologiques. Ce pouvoir de décision nous donne une responsabilité. Mais sommes-nous capables d’en user avec justesse ?

Une radicalité qui répond à une autre radicalité

Le véganisme, dans sa forme extrême, repose sur l’idée que l’exploitation animale est un crime en soi, quel que soit le contexte. Mais il existe une immense différence entre un élevage industriel où les animaux sont entassés dans des cages, et un petit élevage où l’animal vit en plein air et meurt sans stress ni souffrance inutile. Pourtant, ces nuances disparaissent souvent dans le discours militant.

Je connais un végan, un pur citadin, qui a fait ce choix par conviction environnementale. Mais il préfère manger un plat avec un peu de viande plutôt que de le jeter. Il a compris que la morale ne doit pas être binaire, et je trouve cette intelligence bien plus fine que celle d’un dogmatisme absolu.

Ce qui me dérange, ce n’est pas le fait de refuser la viande. C’est le fait de croire qu’on peut "s’extraire" du cycle naturel en supprimant toute consommation animale. Un monde où plus aucun humain ne mangerait de produits animaux aurait des conséquences massives sur les écosystèmes, sur les populations rurales, sur l’équilibre entre les espèces. L’agriculture végétale intensive détruit aussi la biodiversité, rase des forêts, appauvrit les sols.

Alors, où est la limite entre une démarche éthique et une idéologie coupée du réel ?

Le rôle de l’humain dans l’équation

Je suis incapable de tuer un animal de mes propres mains. Si j’écrase un escargot, mon premier réflexe est de m’excuser (hahaha, mais c’est vrai). Pourtant, j’aime la viande séchée. En revanche, la vue du sang m’écœure. Et c’est précisément là que réside un point fondamental de notre organisation sociale : nous ne sommes pas censés tout faire nous-mêmes.

Pendant des siècles, dans les villages et les petites communautés humaines, chacun avait son rôle. Certains élevaient et tuaient les animaux, d’autres cultivaient, d’autres construisaient. Si je ne peux pas tuer une bête, je peux apporter autre chose : mon travail, mon artisanat, mes compétences. C’était le principe même du troc et de l’équilibre des compétences.

Aujourd’hui, nous avons perdu cette complémentarité. On voudrait que chaque individu puisse tout faire seul, ou, au contraire, que toute la société bascule vers une uniformisation absolue (soit tout le monde mange de la viande, soit plus personne). Mais l’équilibre d’un système repose justement sur la diversité des fonctions.

On pourrait imaginer un monde où certains choisissent de ne pas manger d’animaux, d’autres de le faire, mais en respectant des cycles écologiques cohérents. Où les agriculteurs et éleveurs travaillent en collaboration, et où les circuits courts remplacent les industries qui font disparaître toute traçabilité et toute éthique.

Le problème aujourd’hui, ce n’est pas tant la viande que l’effacement des rôles et des savoir-faire traditionnels au profit d’une industrie qui homogénéise tout.

Ne pas tuer par facilité, ne pas rejeter par idéologie

Si les villes n’existaient pas, le monde animal se porterait mieux. Mais en même temps, c’est dans ces mêmes villes que naissent certains mouvements qui tentent de limiter les dégâts. Le problème n’est pas dans la consommation animale en soi, mais dans l’industrialisation de cette consommation.

Peut-être que la vraie réponse n’est ni dans l’excès de viande, ni dans son rejet total. Peut-être qu’il est temps de revenir à des choix plus réfléchis, à une alimentation qui respecte le vivant sans en faire un dogme.

La nature fonctionne en équilibre. À nous de retrouver le nôtre, et de redonner à chacun un rôle qui a du sens.

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